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ESPACE MITUKU
26 juin 2007

Chapitre 6 : La structure politique

Le Mokota § 6. 1. Le Mokota, confident de Kabile... A travers tous les discours de mon père autour de feu, ou ailleurs, j’ai pu comprendre que la structure politique de notre tribu était incarnée par un chef du clan appelé « Mokota » (au pluriel Mekota). Dans chaque village, il y avait plusieurs mekota et chacun représentait son clan. Ils étaient au service de chef du village.** Le mokota reçoit son pouvoir des ancêtres et veille au respect de la coutume. Pour devenir mokota, il fallait grimper toute une série d’ordres. Son pouvoir était coutumier, car il agissait au nom des ancêtres. Le mokota recevait les membres de famille dans un « Mutula », un hangar construit devant la parcelle de la famille. Dans un même village, comme à Bimbi-Baïbanya, à Baïsiya, à Balukumo etc, il y avait à peu près une dizaine de mutula équivalent à dix chefs coutumiers. Les femmes de chaque clan y apportaient de la nourriture. Vieux, adultes et jeunes, mangeaient ensemble dans le mutula, entourés de leurs chiens de chasse qui avaient droit au repas à côté des hommes. Les femmes mangeaient à la cuisine. Le mutula est un lieu privilégié où tout se décidait sur le vécu quotidien, c’est l’équivalent de l’Agora, la cité grecque. Le chef de secteur allait visiter chaque mokota dans son fief pour discuter de la vie du village. Tandis que le Kabile était le gardien de la coutume, un personnage virtuel qui incarnait le secret de l’initiation des jeunes garçons. Il jouait le rôle mystique pour intimider les jeunes enfants non encore initiés. Ce personnage était au demeurant instituteur. Il venait apprendre aux initiés les pratiques viriles. Il puisait ses connaissances auprès des ancêtres….. au travers de l’univers invisible. L’objectif étant d’expliquer aux profanes le sens du cosmos. En d’autres termes, le Mokota a besoin de Kabile pour s’informer des problèmes de la société. Il est son confident qui vient souvent lui informer de ce qui se passe ailleurs. Une fois informé, il élabore l’agenda des activités du village en fonction des informations reçues. Le contentieux était porté devant le Mokota, dans un mutula pour y être tranché. Le mutula destiné à juger les litiges était construit à côté d’un arbre à palabre, contrairement au mutula où les membres de famille prenaient le repas. Le mokota, souvent choisi parmi les sages des différentes familles pour asseoir son autorité, présidait à la destinée de tout le village et assumait un double rôle : il était chef, en même temps juge. La procédure se faisait seulement après avoir rempli les critères d’être éligible…..on dirait un vote démocratique. Etre éligible suppose que le candidat ait franchi obligatoirement certains ordres initiatiques. Sa décision est irrévocable (et sacrée), puisqu’elle vient des ancêtres. Le mokota incarne donc les valeurs ancestrales, en ce sens qu’il est le représentant de système des valeurs. Les membres lui doivent obéissance en vertu des prérogatives qui lui sont conférées par le pouvoir ancestral. Par conséquent, son pouvoir est hérité des ancêtres. Une fois élu, il a un agenda chargé d’activités. Il prévoit les périodes de l’initiation des jeunes garçons et des jeunes filles: circoncision, scarification, tatouage des femmes et autres ordres sociaux. Les jeunes ayant franchi le seuil d’un certain ordre social sont acceptés à grimper la hiérarchie de la vie. Tout ceci faisait partie de la connaissance d’une culture. Or l’anthropologie culturelle définit la culture comme un ensemble complexe des connaissances acquises par l’homme: contes, arts, croyances, objets, rites9. Ainsi donc, la tribu Mituku (Metoko) est un groupe d’individus ayant sa culture comme les autres groupements humains, elle est homogène politiquement, linguistiquement et culturellement unie. Elle occupe un territoire bien défini et dont les membres ont la conscience de leur identité collective. C’est ce que notre père était en train de nous apprendre pendant la période de guerre. Il avait donc les connaissances fabuleuses sur le système de valeurs de sa tribu, d’autant plus que l’un des membres de sa famille fut Chef de Secteur à l’époque coloniale. Il s’appelait Mbula-Matari, le fils de Mokomba qui régnait sur les pays de Bimbi. Son frère Mikaili (Mickael) a régné sur les pays de Muchaliko, de Kirundu, de Kafuko Lilo, de Lefkenji et de Socopo. § 6. 2. Le rite de la circoncision (expliqué par mon père) La circoncision est une vielle tradition de Mituku et l’une des initiations rituelles de la coutume chez les mitugais. Ce phénomène rituel s’applique aux jeunes garçons. La pratique initiatique prépare les jeunes gens à devenir des véritables hommes, capables d’exécuter les tâches des adultes. Concrètement, la circoncision est une petite opération chirurgicale pour arranger le pénis du garçon. Celui-ci sera opéré par le Mokota**. Car, à Mituku, un garçon qui n’est pas circoncis selon la tradition, sera toujours considéré comme un profane assimilé à une femme. D’où la circoncision revêt un caractère obligatoire chez les jeunes garçons. Les parents dont l’enfant tarde à se faire circoncire ont une dette morale vis-à-vis de la société. Ils doivent déjà prendre le premier contact avec les kabile, collaborateurs de mokota. Car les kabile l’aident à organiser périodiquement des cérémonies rituelles à caractère sacré (exemple: la campagne de la circoncision). Les mekota se concertent d’abord avec les kabile, puis ils planifient l’agenda de leurs activités. Après dernière concertation, ils décident de décréter la campagne de la circoncision des jeunes garçons de 8 à 13 ans. Les batende, adolescents déjà circoncis, aménagent très loin dans la forêt un campement pouvant accueillir les futurs initiés. En vertu du rôle qui lui est assigné, le kabile visite chaque famille pendant la journée pour s’enquérir de la situation du village. Il est un véritable informateur. De cette façon, il sait avec précision qu’il y a des enfants dans telle ou telle autre famille. Il sait aussi que les enfants profanes venant de Lowa étaient logés dans telle ou telle autre maison. Comme les enfants venus d’ailleurs connaissent peu les habitudes du village, il y a donc lieu de les taquiner un peu. La finalité est de les effrayer à partir des masques. Grâce à ses visites répétées dans chaque famille, le kabile informe mieux le mokota de ce qui se passe au village. Non seulement il est son confident (de mokota), mais aussi son informateur, son agent espion. En tant que tel il joue un rôle de premier plan. Il porte un « ndoko », le masque pour ne pas être identifié des enfants. Le port de masque consiste à effrayer les enfants. Le kabile, en opérant ses visites nocturnes d’une maison à l’autre, emprunte une voix mystérieuse, en même temps il repère les maisons où sont des enfants en âge d’être circoncis. En clair, cette visite s’opère en accord avec les chefs des familles. Le message s’adresse aux enfants, en leur disant « Eh vous les gars ! Il est temps d’être circoncis, sinon vous resterez toujours profanes comme des femmes ». N’importe quel adulte, grand-frère ou cousin, peut assumer le rôle de kabile parmi les batende. Dans ses multiples rondes dans les quartiers, il se déplace souvent avec son instrument magique, le « Kefili-fili ». Quand il parle avec une voix rauque, il fait vibrer en même temps le « kefili-fili ». Cet instrument mythique produit un son bizarre, aigu, désagréable à entendre : « wooo...wooo...wooo....wo, vroum, vroum, vroum, waouuuuu ». Je me rappelle la période d’avant la guerre durant laquelle nous sommes allés en vacances à Mituku avec toute la famille. Notre arrivée coïncidait avec la campagne de recrutement des jeunes, candidats à la circoncision. Les kabile n’étaient rien d’autre que les membres de notre famille déguisés en masques pour être méconnaissables. Ils sont venus nous emmerder chez nous la nuit. Terrorisés, ma sœur et moi, étions cachés sous le lit en pleurant à chaudes larmes. C’était le premier baptême d’une folle nuit tourmentée. Lorsque le kabile fait résonner le « Kéfili-fili », c’était l’enfer…… Sa voix mystérieuse et le son aigu de l’instrument magique créent une psychose chez les enfants. Les hommes s’en tenaient au respect de la tradition pour ne pas divulguer le secret de la tradition aux femmes. D’ailleurs beaucoup de femmes mouraient profanes sans même connaître certains tabous de la coutume…….elles n’ont jamais été informées de la réalité des choses. Il y avait donc un strict respect au système des valeurs traditionnelles. Les enfants profanes ne seront effectivement des hommes que lorsqu’ils auront franchi une série d’épreuves difficiles dont la circoncision. Beaucoup de paramètres entrent en jeu à ce niveau. En dépit de ces épreuves, les chefs des familles préparent les enfants à affronter ce défi en fonction de leur âge. Une même famille peut livrer deux à trois enfants, cas échéant. Ceci est d’autant vrai dans la mesure où les couples polygames ont beaucoup d’enfants dans leur famille. En tout état de cause, chaque famille qui aura envoyé un enfant au campement versera une contribution forfaitaire, du point de vue financier, pour couvrir les différentes charges durant la longue période d’internement. Lorsque les enfants subiront l’opération chirurgicale, ils deviendront à ce moment des « Batende », c’est-à-dire ceux ayant franchi la première étape virile, la circoncision. Parmi les batende, il y a des « Mungamba ». Ce sont des enfants des familles issues de la noblesse paysanne, lesquelles ayant fait preuve dans la hiérarchie des ordres sociaux. Du point de vue morphologique, les mungamba sont beaux et ravissants. Ce profil de la beauté est repérable dès la naissance. Il en est de même pour les « Bolumbo », du côté des filles. Leurs parents appartiennent à la catégorie des riches et possèdent des domaines fonciers non négligeables, hérités des générations en générations de leurs ancêtres (exemple: les domaines de familles des chefs de secteur Mungamba-Kivuko, Mikaïli, Mutoro et Mbula-Matari). § 6. 3. La phase opératoire de la circoncision Après la campagne de recrutement, on amène les nouvelles recrues sur le lieu de l’événement……..un endroit aménagé dans la forêt. Les pères d’enfants, les grands-frères et les cousins accompagnent les initiés, ils doivent assister à l’événement. C’est le mokota lui-même qui s’en occupera en tant que chirurgien virtuel. L’enfant, pendant l’opération qui va se dérouler sans anesthésie, ne doit pas pleurer de peur d’outrager sa famille. Il doit faire preuve d’endurance, même s’il ressent des douleurs atroces. Le critère de la virilité est de mise ici. La présence d’un père sur le lieu est sujette au comportement de son fils. Son regard fixé vers lui pendant les épreuves l’empêche de pleurer. Avant d’entamer le travail proprement dit, le mokota procède à la vérification de tous les enfants inscrits pour voir si personne ne manque à l’appel. Il commence par invoquer les ancêtres pour qu’ils veillent au bon déroulement de l’opération. A la veille, il va dans une bananeraie proche…….derrière la maison pour enfoncer les bistouris traditionnels (petits couteaux) dans un bananier. Ces outils vont servir à couper le prépuce du pénis de l’enfant. Il reste maintenant à planter le décor: deux chaises en bois, un récipient pour recueillir le sang, les médicaments traditionnels faits sous la base de la pharmacopée indigène (des feuilles médicinales et des racines d’arbres), et les petits couteaux retirés du bananier tout rouillés. Le mokota les essuie correctement à l’aide du sel indigène avant de plonger dans la chirurgie. Le moment fatidique intervient lorsque le mokota invite le premier enfant à s’approcher de lui. Sur son ordre, l’enfant avance sous l’œil vigilant de son père. Il se place tout juste devant deux gaillards, forts, assis sur deux chaises en bois. L’enfant s’assied au milieu d’eux, chacun des gaillards bloque fortement une jambe et un bras par rapport à l’axe latéral de l’enfant. Le jeune homme est complètement neutralisé. Le mokota avance à son tour avec ses petits bistouris, s’accroupit devant l’enfant. Il saisit son pénis, le tire, puis fait le massage tout autour à l’aide des feuilles. Ensuite, il place le pénis entre ses deux mains, il le frotte environ une minute de façon à augmenter son volume. La peau du prépuce gonfle et s’allonge, l’enfant est presque anesthésié. Le mokota mesure enfin, avec précision, sa longueur à l’aide de pouce et de l’index. Pendant que l’enfant est neutralisé, les yeux fixés vers son père, le mokota prend son couteau et sectionne la peau de la verge avec une précision inouïe. La partie sectionnée est déposée dans le récipient, lequel recueille en même temps le sang. Ensuite, il déchire la lèvre du prépuce pour la replier derrière avec ses deux mains. Si l’enfant ne pleure pas, les applaudissements crépitent, suivis des cris de joie des membres de famille. Les batende qui assistent à l’événement jubilent, ils font vibrer le tambour. C’est que l’enfant a fait preuve de virilité. Son père peut, à la rigueur, venter l’animal totémique symbolisant la force du clan. A contrario, si l’enfant ne supporte pas des douleurs atroces, il criera « Brurrrr ! Namoa mpuyi », « Oh la ! J’ai mal, je n’en peux plus... ». Dans ce cas, son père mécontent, lui fait des blâmes sévères….« Inaé ! Mana omonka bule kabisa », « Eh ben ! Un drôle de garçon... ». Le papa furieux, exprime sa colère, mais c’est une colère passagère qui passe comme un éclair fugitif. L’important, c’est que tout aille bien. L’opération peut prendre 6 à 10 minutes par enfant. Après chaque intervention, les autres mekota, secondés par les batende, dispensent déjà les premiers soins. Ils entourent le pénis de l’enfant avec les feuilles médicamenteuses en y pressant le jus des fruits et des racines. Le suivant peut passer et ainsi de suite...Entre-temps, le tambour continue à donner la chaleur à l’événement. Si tous les récipiendaires passent sans incident, c’est que les opérations ont été couronnées de succès. Une mini-fête peut alors commencer dans la forêt, les mekota et les batende dansent et boivent le vin de kakolo et le vin de lotoko. Les jeunes circoncis tournent ainsi une page de l’histoire de leur vie de profane. Ils deviennent des hommes à part entière. En attendant, ils se tordent des douleurs postopératoires et sont autorisés à pleurer à haute voix cette fois-ci. La fin de la journée est sanctionnée par le retour des papas au village. Mais, avant de rentrer, les pères d’enfants, les cousins et les grands-frères (les batende), placent les enfants dans leurs lits en bois installés dans une maison en chaume construite dans la forêt pour la circonstance. Les batende doivent passer la nuit avec les enfants durant toute la période de l’internement qui varie de 6 à 10 mois selon le cas. De plus, ils s’occuperont non seulement de la surveillance, mais également de leur encadrement. Lorsque le mokota termine son travail chirurgical, il s’en va. Le reste n’est plus son affaire. Les batende doivent maintenant chercher le « Ntolo »**, remède qui sécrète du jus. Ils vont presser ce jus sur la plaie pour la cicatriser. Les batende sont comme des aides-soignants, des infirmiers qui veillent sur les patients après l’intervention du médecin. Ils accompagneront souvent les jeunes initiés à la rivière, au petit matin, pour nettoyer la plaie. Les enfants qui n’ont pas encore retrouvé l’équilibre statique de la marche, sont obligés de s’affaisser dans l’eau fraîche chaque matin. C’est le moment de cris et de grincement des dents. Ils doivent désormais se soumettre à un régime de traitement drastique. Au bout de deux semaines, la plaie commence à se cicatriser. Au lendemain de l’événement, les pères apportent la nourriture à leurs enfants. Ils assistent aussi au lavage de la plaie à la rivière. Lorsque les papas apportent la nourriture, les surveillants (batende) se libèrent, ils peuvent aller se défouler au village pour regagner le campement au soir. L’initiation prend alors une forme particulière. Elle se poursuit avec d’autres pratiques notamment l’apprentissage des pièges pour attraper les gibiers, l’abattage des arbres pour cultiver le champ, la pêche dans les rivières etc. Le jeune garçon subit ainsi une série de formations viriles complètes qui le préparent à se prendre en charge. Parmi les batende qui sont au service des initiés, il y en a des vrais caïds, « mangeurs » de repas. Lorsqu’ils apportent le repas des enfants préparé par leurs mamans au village, il leur arrive parfois d’ouvrir obstinément cette nourriture en cours de route, bouffent les bons morceaux de viande ou de poisson, pour n’apporter que les miettes à leurs destinataires. Cela fait aussi partie de la discipline d’aînesse, de la hiérarchie sociale, pour signifier aux nouveaux « batende » que les vétérans ont vu le monde les premiers, ce faisant ils ont le droit de se servir comme ils le peuvent. En cas de complication opératoire ou postopératoire, l’enfant mourra de suite de sa blessure. La notion d’hygiène échappe à la connaissance de mokota le chirurgien. Ses petits couteaux enfoncés dans le bananier la veille de l’événement sont rouillés, par conséquent susceptibles de porter certains agents pathogènes dont le tétanos. Si un enfant meurt, il sera enterré dans le plus grand secret sans que sa maman ne sache. Celle-ci ne sera informée qu’après la période de la retraite. Le père organisera l’enterrement de son fils dans la forêt. Il ne devra pas divulguer le décès de l’enfant à sa femme. Durant cette période, il devra gérer la douleur de deuil de son fils avec philosophie. A la sortie, un objet sculpté en bois, le « Kakongo », sera confié à sa femme pour lui révéler la mort de son fils. § 6. 4. La sortie de la retraite des Batende (…..) A suivre
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Commentaires
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  • Isamba eh ...Bonjour mes frères et soeurs Mitugais. Banya-metoko (Banyamituku), ceci est votre espace d'échange des idées. Les non-mitugais(e)s, dites nous ce que vous savez de banyamituku...
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