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ESPACE MITUKU
30 avril 2007

Chapitre 5 - Les martyrs de Lowa

(L’assassinat en public des: Baundja Thomas, Yuma Bonaventure et Bobango Dominique) 5. 4. 0. Sortir ou pas sortir ?, discussions sur fond controversé. (…) Décembre 1964. La recherche de M.Thomas et ses amis se poursuivait encore avec acharnement. Depuis le début de notre cabale à Lowa, en passant par les différentes étapes dans la jungle, nous étions pratiquement coupés de ce qui se passait à Lowa…….on ignorait tout presque. Les différents épisodes qui nous a traînés à gauche et à droite, nous obligèrent d’intégrer les réalités temporo-spatiales d’un environnement qui nous était inconnu. Que ce soit à Lowa ou à Mituku même, la mort n’a épargné personne. Chaque famille se préoccupait d’abord de sa propre survie, et de sa sécurité: l’intégrité physique, la sécurité alimentaire et la sécurité sanitaire. Entre-temps, les événements se sont précipités à Lowa. Il est vrai qu’il y avait la rumeur relative à la capture et à l’assassinat de Baundja Thomas, Yuma Bonaventure et Bobango Dominique. Mais la quatrième personne, Tulunga Germain, qui n’a pas voulu se livrer aux mains de ses bourreaux serait toujours vivante. Je me rappelle que l’assassinat de ces hommes nous a trouvé dans la forêt de Baïbanya…....certainement à Kembilinga, après notre passage dans les forêts de nos oncles où l’on venait de subir une odyssée. L’opinion mitugaise, très indignée, ne cessait de se poser des questions à propos de ces assassinats collectifs et ignobles. Comment expliquer que ces trois leaders, farouchement recherchés, se soient livrés à la mort ? Pourtant, ils étaient très loin dans la forêt de Lomami, entourés d’un cordon de protection solide. Le pire que le peuple mitugais craignait arriva à la grande satisfaction des rebelles. La surprise ? C’est que tout avait commencé par la prise en otage de leurs familles par les Simbas. Même dans cette hypothèse, beaucoup de zones d’ombres sont restées floues. Comment pouvait-on expliquer les circonstances ayant favorisé la prise en otage de leurs familles ? Lorsque la guerre avait éclaté à Lowa, mon père Opendo François, était encore ensemble avec eux. Mais il préféra se séparer d’eux parce qu’il avait l’extrême urgence de rejoindre sa famille restée sans protection dans la forêt de Bimbi. Il avait parfaitement raison. En tout état de cause, avec la présence de notre papa, nous avions retrouvé, bien sûr, la cohésion familiale. Et désormais on était ensemble dans le meilleur comme dans le pire. A titre d’exemple, quand on avait brusquement arrêté mon père dans la forêt de ses beaux-frères, on ne sait pas, en tout cas, ce qui se serait passé si nous n’étions pas là ?. Peut-être on l’aurait tué d’une façon expéditive. Toutes les hypothèses restent ouvertes, même celle de faire de lui l’otage des rebelles....Dans le contexte qui concerne Thomas, Banaventure, Germain et Dominique, eux, devraient, à mon avis, être ensemble avec leurs familles, en se déplaçant d’une forêt à l’autre. Quoi qu’il en coûte, si leurs familles avaient été prises en otage, c’est parce qu’ils s’étaient séparés d’elles. Les traîtres avaient donc profité de cette situation pour faciliter la tâche aux rebelles de capturer les membres de familles en otages. Beaucoup ont parié que, si Thomas avait fui dans les forêts de Bimbi, ses propres forêts, (où nous étions), il ne serait pas mort. Ce n’est pas parce que les Simbas ont massacré les gens à Bimbi qu’ils l’auraient capturé avec facilité. Dans le cas de figure, il aurait été protégé par les siens, c’est sûr. Malheureusement, il a préféré se réfugier dans la forêt de ses beaux-frères à Yesse et à Basikonge. Voilà autant d’hypothèses qui laissent les Bimbiens perplexes et orphelins de leur fils le plus riche de la région. J’ai expliqué dans le chapitre précédent comment mon père allait être exécuté en public, lorsque les Simbas détenaient la famille de Thomas en otage à Banayale. Mais, à Bimbi on ne savait pas dans quelles circonstances et à quelle partie de Mituku la famille de Thomas avait été appréhendée. Ce qui est sûr, c’est que les quatre leaders de Lowa étaient très loin dans la forêt, à plus de 100 km, en bonne santé et bien informés de tout ce qui se passait à Lowa. D’après la rumeur, il semblerait qu’il y ait eu de contact préliminaire entre eux et les rebelles sous forme des négociations informelles, en vue de trouver un terrain d’entente. Lorsqu’on parle de négociation, on évoque certainement le rapport de force, moyennant des concessions mutuelles. Cependant, on pouvait imaginer quelle sorte de concession les rebelles pouvaient faire avec ces quatre leaders, alors que le temps était encore aux tueries sauvages……faut pas rigoler ! La négociation implique qu’il y ait des médiateurs neutres qui font la navette entre les deux parties. Or, si médiateurs il y en avait, ce n’étaient rien d’autres que « ces traîtres mitugais » qui ont dû donner des indices précis aux rebelles pendant des tractations. Ce sont eux, certainement, qui les ont convaincus de sortir. Il apparaîtrait même que le commandant sanguinaire rebelle, Nguba Théophile, ait envoyé une délégation, porteuse d’une lettre, auprès des exilés. Il les incitait à sortir. Etait-ce un appât leur offert ? Tout reste jusque là au conditionnel. Cela montre clairement que ce genre de négociation était hybride et trompeuse à plus d’un titre. Primo : on ne connaît pas les circonstances ayant facilité l’arrestation des familles de ces leaders par les rebelles..... Secundo : Si la trahison a été organisée par des « cyniques » enfants du village, corrompus, l’opinion mitugaise dénonce aujourd’hui cette traîtrise, car elle a coûté la vie à des illustres personnalités. Tertio : M. Thomas et ses amis devraient comprendre qu’on ne prend pas les familles en otage pour amuser la galerie. Le contexte des événements s’inscrivait dans une logique de vie ou de mort. Il ne fallait donc pas avoir la naïveté de sortir. Certains membres de famille qui assuraient leur sécurité, sympathisaient avec les rebelles, semble-t-il. Donc il y avait quelque chose de louche au regard de ce rapport. Ce sont eux qui colporteraient les informations du village à la forêt, auprès des leaders, et de la forêt au village, auprès des rebelles. Lorsque Thomas et ses amis apprirent la nouvelle de la capture de leurs familles par les rebelles, ils décidèrent de sortir en vue de dialoguer directement avec les rebelles. Cette alternative n’a pas fait l’unanimité de tout le groupe. Les divergences subsistaient entre eux. Bobango Dominique, Yuma Bonaventure et Baundja Thomas se sont prononcés en faveur de la sortie. C’était la voix de la majorité. Tandis que Tulunga Germain, seul, leur conseilla la prudence en insistant sur un aspect pertinent: la violence des Simbas était un signe révélateur qui ne trompait personne, les tueries et le règlement des comptes faisaient encore rage. Il s’adressa à ses congénères en ces termes: « Ne sortons pas encore maintenant. Même si nos familles sont prises en otage, cela ne signifie pas qu’il fallait sacrifier notre vie en s’exposant à la mort. Ces gens qui sont venus faire la révolution au nom de Pierre Mulele, sont des inconscients, des invertébrés à profusion, des barbares, des tueurs fébriles et des sanguinaires. Regardez la façon dont ils ont massacré les gens à Lowa et à Bimbi à cause de nous, surtout à cause de M.Thomas. Ils sont morts pour rien; ne prenez pas cette affaire à la légère. La paix reviendra lorsque l’ordre sera rétabli, pour l’instant les gens continuent de mourir. Ne nous faisons pas des martyrs de cette révolution muleliste chez nous à Mituku ». Après avoir fait une leçon de modestie à ses collègues, Tulunga Germain persiste et signe: je ne sors pas…….convaincu que la sortie à ce moment signifierait aller au suicide. Mais la discussion ne s’arrêta pas là. Les « trois mousquetaires » tentèrent à leur tour, de convaincre M.Tulunga Germain en ces termes: - « Si nous sortons de notre gré, le geste sera apprécié par les rebelles comme un signe de courage, nous serons des héros. Nous pouvons travailler avec eux pour redresser l’administration de Lowa. Car ils ont besoin de nous et on pourra leur fournir de l’argent pour payer les soldats rebelles qui se battent au front. Par contre, si les rebelles eux-mêmes nous attrapent, ils risquent de nous réserver un mauvais sort. Nous ne pouvons pas tolérer que nos femmes et nos enfants soient torturés, violés et maltraités par les Simbas, en leur faisant subir toute sorte de sévices. Ce serait lâche de notre part. Nous avons quand même occupé des postes de responsabilité dans notre société, comme nous avons suffisamment d’argent, il suffit de négocier avec les rebelles pour nous laisser la vie sauve; ces gens ont besoin d’argent, rien d’autre, c’est tout ». - En tout cas, cette discussion se déroulait comme un dialogue de sourd. Puisqu’il n’y avait pas d’entente, ni la compréhension entre eux, il n’y avait pas non plus de compromis substantiel. Pour la question relative à la sortie, M.Tulunga Germain ne transige pas, il ne veut pas en entendre parler, il est resté campé sur ses positions. Après ce débat houleux qui a duré des heures sans trouver un terrain d’entente, MM.Thomas Baundja, Yuma Bonaventure et Bobango Dominique ont tout fait pour ramener Tulunga Germain à la raison. Finalement, celui-ci accepta de sortir sous réserve. Ce jour-là, ils sortirent tous les quatre avec un double sentiment : amertume et méfiance. Ils sont arrivés au village sous le regard interrogatif des paysans. Les rebelles les y attendaient. 5. 4. 1. La capture de M. Thomas Baundja et de ses amis, suivie d’assassinat public La sortie de quatre hommes recherchés par les Simbas accéléra le cours de l’histoire à Lowa. Du coup, toute la donne politique change. Hier, ils étaient tous dans la forêt dense de Yesse, de Basikonge et de Baïkuba. Aujourd’hui, ils sont au village où les Simbas les y attendaient. Ils ont été bien accueillis à Yesse avant d’arriver à Mayunga. Décontractés, élégants, les voici marcher librement, plongés dans une causerie amicale avec les rebelles, kalachnikovs à la bandoulière. Les mulelistes ne les ont pas touchés après leur sortie de la forêt. La nouvelle se répand rapidement partout, surtout à Lowa où ils sont attendus par leurs bourreaux, ceux-ci frottaient déjà les mains. Tandis que dans les pays de Bimbi, cette nouvelle tardait encore………la population était encore dispersée dans la forêt. A Lowa, le responsable de crimes contre l’humanité, commandant Nguba Théophile, avait mis le quartier général en état d’alerte. D’ailleurs, c’est la jolie villa de M.Thomas qui a été transformée en QG des Simbas. Naturellement le commandant se devait de féliciter ceux qui ont mené la négociation marathon de plusieurs jours, parce qu’ils ont réussi à ramener les fugitifs à la maison. Sans tarder, un événement anodin va bientôt se produit contre toute attente. C’est que, Tulunga Germain, en voyant les rebelles porter des armes avec munitions, était convaincu que tout pouvait basculer à tout moment. Il était préoccupé par la thèse de son argument, lorsqu’il tentait de dissuader ses congénères à la forêt de ne pas se rendre aux mains des rebelles. Il leur disait que la sortie était encore prématurée, et que le risque était grand. Soucieux de ce danger imminent, il a préféré ne pas en parler à ses amis pour éviter une autre discussion banale devant les Simbas. Il leur a dit tout simplement « qu’il avait envie d’aller faire pipi ». En se repliant derrière la maison, il en a profité de la distraction des rebelles pour brûler la piste. Il s’est faufilé allègrement dans le bois comme une gazelle, jusqu’à gagner la profondeur de la forêt équatoriale. Les Simbas ont beau fouillé les alentours, mais en vain. Tulunga Germain ne reviendra plus jamais au village, il est resté à la forêt entouré des membres de sa famille qui ont préféré renforcer sa sécurité. La scission de l’atome était totale. Les quatre hommes ne se reverront plus jamais jusqu’à l’éternité. Les rebelles n’ont fait que renforcer la surveillance autour de trois captifs restants. Les partisans de la sortie, si naïfs, croyaient à la clémence sacro-sainte des « faiseurs » de la révolution muleliste. Entre-temps à Lowa, les Simbas fourbissent déjà leurs armes. Le commandant dépêcha rapidement un véhicule à Mituku en vue de chercher les captifs à Mayunga. Les prisonniers étaient arrivés à Lowa en pleine euphorie générale des rebelles. Ngouba Théophile, visiblement emporté par un fantasme narcissique, réserva un accueil du mauvais goût à ses hôtes. Beaucoup de rebelles informés de cette arrivée historique, étaient venus voir les prisonniers menottés dans le véhicule. Frappés, torturés et humiliés, Thomas et ses amis subissent déjà l’avant-goût d’un martyre programmé, textuellement comme Lumumba et ses deux condisciples. Le commandant préféra d’abord les coffrer en tôle pour les exécuter le matin en présence d’une foule compacte. Cette même nuit, les trois hommes ont traversé le calvaire par des tortures de toutes sortes, en leur faisant boire n’importe quoi. Pendant ce temps, le glorieux Tulunga Germain, qui ne voulait pas sortir, est en train de respirer l’air frais de l’écologie verdoyante en prenant tranquillement son kakôlô chaud. Je pense bien que dans le cachot où ils ont passé la dernière nuit avant leur exécution, les captifs ont dû évoquer, inconsciemment ou non, les séquences de débats houleux qui les opposaient à Tulunga Germain dans la forêt. L’imagination créatrice a peut-être donné l’occasion à ces malheureux leaders de Lowa de revivre la discussion de la dernière chance et l’erreur irréparable qu’ils ont commise. Puisqu’ils ne voulaient pas adopter l’option de la prudence prônée par l’irrésistible Tulunga Germain. Si les morts pouvaient entendre, Baundja Thomas et ses collègues pourraient le regretter très longtemps, mais ils le feront désormais dans l’éternité. Il n’est pas dit que la voix de la majorité, telle prônée par la démocratie contemporaine, est nécessairement la meilleure. Tulunga Germain leur a fait montré une formule simple découlant d’une logique cartésienne : A + Z = AZ, et 1 + 1 = 2, tout simplement……. c’est ce qui était fondamentalement vrai. Surtout qu’il les avait mis devant le fait accompli en leur répétant les « massacres de Bimbi » qui étaient encore d’actualité. Pourquoi ne pouvaient-ils pas suivre cette voix de la modération défendue par lui ? C’est ce que les Banyamituku n’ont pas compris et refusent de comprendre jusqu’à nos jours. Et ils continueront toujours à se poser des questions sur l’imprudence de ces martyrs Lowangais. Le lendemain, le commandant invita les civils à venir assister à l’assassinat public des MM.Thomas Baundja, Dominique Bobango et Bonaventure Yuma. Dans ce genre d’événement, les curieux ne manquent pas. Beaucoup de gens sont venus assister à ce psychodrame douloureux. Les uns pour voir la dernière fois ceux qui étaient le symbole et la fierté de Lowa. Les autres, jaloux, les prenaient pour des orgueilleux à cause de leur richesse. Ces assassinats ressemblaient à la pendaison publique de Kimba Evariste, Anany Gérôme, Bamba et Mahamba baptisée « la pendaison de Pentecôte » que Mobutu ferra plus tard à Kinshasa en 1966, soit un an après son coup d’Etat militaire. Les gens étaient déjà dopés depuis la veille avant de venir supporter l’incurie du crime. Inutile d’avoir le sommeil cette nuit-là. Le coeur battait au rythme émotionnel vu le poids de l’événement. Ivres de joie, les Simbas tiraient en l’air sans répit; ils chantaient toute la nuit le fameux chant: « Zambele, Zambele, Zambele et Damu ya mutu sukali ya kulamba na wali », ils scandaient même les noms de leurs prisonniers, en défilant tout près d’eux pour mettre en relief leur sottise. Depuis 8 heures, les gens commençaient à remplir la cour au fur et à mesure. A 9 h 30’, la parcelle était inondée de monde. Le soleil était au rendez-vous et le ciel offrait le nuage bleu-marine. A 10 heures, le commandant Ngouba Théophile ordonna aux rebelles de sortir les prisonniers pour les placer à la ≤guillotine≤ devant la foule. La plupart de Lowangais, informés la veille de leur arrestation, s’étaient déplacés rien que pour confirmer l’information. Les uns rentraient immédiatement après les avoir vus, ne voulant pas assister à ce qu’ils ont appelé « des actes criminels ». Les autres, curieux, voulant se constituer témoins oculaires, préféraient rester et vivre l’événement avec parcimonie. Ceux-ci vont suffisamment éclairer l’opinion plus tard de ce qui s’était passé à Lowa ce jour-là. C’est grâce à eux que le récit de ce chapitre a été rendu possible. Les prisonniers étaient dans un état délabré et mal habillés avant l’assassinat. Le public n’arrivait plus à les reconnaître dans cet état. Ces signes ne laissaient personne indifférent. Tout le monde fut profondément consterné et certains faillirent même pleurer sur le champ. Le commandant remarqua que les gens allaient pleurer. Il s’adressa à la foule: - Il ne faut pas pleurer sous peine de subir le même sort que les prisonniers. Nous avons la gâchette facile, ajouta-t-il, car nous venons de le prouver à Bimbi et ce n’est pas difficile de vous envoyer au sommeil éternel tout de suite. Il pria les gens de chanter le « zambele zambele et le damu ya mutu sukali » pour se défouler. Pendant ce temps, beaucoup de Simbas excités sous la drogue criaient de tout côté comme s’ils étaient en extase: - « Simbas mayi, mayi....Mayi Mulele....Mayi Lumumba ». Les gens furent pris de panique mais ils étaient obligés d’exécuter ce que le commandant leur a dit, c’est-à-dire chanter. Les choses se précipitèrent. Après les avoir exposés devant la foule, le commandant, en guise de sentence, leur adressa la parole en ces termes: - Le sang des innocents a coulé ici à Lowa et à Bimbi à cause de vous. Pendant que les Simbas vous cherchaient partout, vous vous êtes cachés dans la forêt comme des bêtes sauvages. Maintenant où êtes-vous ? , bientôt vous allez payer le sang de ceux qui sont morts pour rien, disait-il en ironisant sur leur sort. Puis, il s’adressa au public de chanter fort le « Damu ya mutu sukali ya kulamba na wali ». Ensuite, il passa devant les détenus en expliquant la façon dont chacun va mourir au moyen d’une arme appropriée. A Yuma Bonaventure, l’officier rebelle dit « qu’on va te tuer au moyen de fusil ». Cet officier, dans pareille circonstance, change d’humeur et devient très furieux. Je l’ai encore vu à Bimbi, très méchant, avant les massacres du 12 août 1964. D’un ton sec et autoritaire, il demanda aux Simbas d’amener Yuma Bonaventure au poteau, puis de ligoter ses mains par derrière. Le pauvre Yuma pleurait désespérément à chaude larmes, en demandant pardon. Mais devant la furie des drogués, le pardon ne servait plus à rien. La foule chanta le Zambele. Puis, le commandant ordonna aux rebelles de tirer sur la cible. Plusieurs coups de feu furent tirés en pleine poitrine, Yuma Bonaventure s’écroula. Il était atteint mortellement des balles au cœur et aux poumons. C’en était fini pour lui. Le suivant !, cria le commandant. On apprêta Dominique Bobango devant le poteau, lui aussi mains liées. Il pleurait à sanglot et demanda pardon comme Yuma……. trop tard. Le temps n’était plus au pardon. Après l’ordre du commandant, les Simbas lui lancèrent des flèches empoisonnées, puis tirèrent à bout portant. Il mourut à son tour. Ce fut maintenant le tour de Thomas Baundja. Le commandant lui adressa des mots très sévères, puis il lui répéta: - « Les gens étaient morts à Bimbi à cause de toi, tu mourras maintenant aujourd’hui, au moyen des lances, pas le fusil, ni les flèches, j’ai dit que chacun mourra au moyen d’une arme appropriée » précisa-t-il. Il ordonna aux Simbas de ligoter ses mains. Baundja Thomas, en voyant déjà ses deux frères tombés sous les balles de leurs bourreaux, devint immunisé aux douleurs. Il n’avait plus peur de mourir. Il ne craignait plus rien. Ce richissime qui a fait la gloire de son temps à Lowa avait affronté la mort avec honneur et courage. D’un visage radieux évoquant la souffrance du Christ sur la croix, M.Thomas avait voulu prouver d’abord aux rebelles, ensuite à la foule qu’il acceptait cette mort avec dignité. Les témoins de l’événement de ce jour racontent que Thomas avait affronté cette mort comme un héros, comme Patrice Emery Lumumba. Il refusait de pleurer parce que ça ne servait plus à rien. Par ordre du commandant, il fut acheminé sur le lieu de l’exécution. Monsieur Thomas s’avança d’un pas lent sous le regard branché de la foule qui ne retenait plus son souffle. La plupart avait cessé de chanter le Zambele vu la profondeur de l’émotion liée à la tristesse. Les gens étaient choqués de voir disparaître de ce monde celui-là même qui ravitaillait Lowa par la variété des produits de ses magasins. Il n’avait pas exprimé un quelconque signe de mécontentement avant sa mort. Il a gardé un visage presque souriant en regardant la foule. C’est plutôt celle-ci qui allait éclater des sanglots à peine voilés. Voyant que les gens se tordaient des douleurs, le commandant leur demanda s’il fallait laisser M.Thomas en vie. Dans ce cas, il me fallait quelqu’un à sa place pour l’exécuter, ou tout simplement on rase tout le monde comme on a fait à Bimbi....Personne n’osa répondre sous peine de payer la monnaie très chère….. Ce silence pesait lourd sur la foule. La question du commandant pourrait être bénéfique si d’autres officiers très influents pouvaient l’exploiter en vue de ramener le chef à adopter une attitude assez clémente. Car beaucoup de scénarios similaires au monde ont bénéficié des circonstances atténuantes pour sauver quelqu’un in extremis. Dans ce cas, le chef pouvait par exemple réunir ses lieutenants pour une brève concertation, le temps de statuer sur le dossier du prisonnier s’il fallait le tuer ou pas. Mais personne parmi les rebelles n’avait le pouvoir de contredire Nguba Théophile. Comme il n’y avait pas de réponse à sa question, il poursuivit son projet macabre……celui de tuer M.Thomas. Il ordonna aux Simbas d’enchaîner ses mains par des cordes spéciales que les rebelles appelaient « commande » en y aspergeant de l’eau, puis il siffla pour que la première salve des lances parte. Deux lances perforèrent le ventre et la poitrine, Thomas resta taciturne sans pleurer. La deuxième série des lances fut envoyée, une lance pénétra le ventre et sortit de l’autre côté au dos; une troisième lance toucha le cœur. Baundja Thomas s’écroula par terre sans pousser un seul cri. Il plongea dans un sommeil éternel. Du côté de la foule, les gens étaient terriblement affectés par la mort de ces trois martyrs de Lowa. La fin des séances de cette série d’assassinats permit à la foule de rentrer tristement chez-elle, en ayant chacun le chœur aux lèvres, comme s’ils venaient d’assister à une projection cinématographique. Après ces assassinats collectifs, on avait l’impression que les oiseaux, refusant de gazouiller, avaient observé le silence pendant les assassinats. Mais, ces oiseaux aussi mythiques que prodigieux, avaient tout simplement entonné « l’hymne à la danse mitugaise », celui-là même qui était naguère préféré par M.Thomas de son vivant, en souvenir de sa mémoire: « Mekota luluanangai ye, Inye osiya bolumbu ko mwembé…. » « Mekota luluanangai ye, Inye osiya bolumbu ko mwembé................infiniment ». « Les sages demandez-vous, qui acceptera laisser son cercueil loin des siens ? Qui acceptera de rester pétrifié à la maison, alors qu’il y a un événement au bout du village, allez-y, allez-y voir… ». La chanson avait la force de s’adapter au contexte du moment. Le sort en a été jeté......Cet hymne incantatoire n’invite plus les gens au festival des danses, plutôt à recenser et à contempler les morts devant les yeux..…où des villages entiers sont réduits en cimetière. La mort de Thomas et de ses frères mitugais s’apparente à celle du héros du Congo (Patrice Emery Lumumba) et ses deux ministres Mpolo et Okito. Quand il fut assassiné au Katanga, quelques témoins, Belges et Congolais, assistèrent à ce complot « politique » financé par la Belgique et la CIA. Mais personne ne saura avec exactitude à quel endroit son corps avait été placé, ni sa famille, ni quelqu’un d’autre, sauf Munongo Godefroy. Tôt ou tard la vérité finira par triompher. Mais hélas ! La surprise est venue de Ludo De witte* (L’assassinat de Lumumba, Editions Karthala, 2000, Paris) lorsqu’en 1999, il publia en Flamand son livre sur les circonstances de la mort de Lumumba. Il a même jeté la responsabilité de cette mort sur les autorités belges de l’époque. La version française de ce livre était disponible depuis février 2000. C’est à partir de ce livre que les Congolais surent comment le corps de Lumumba avait été traité. Mais pour nos trois martyrs Lowangais, personne ne verra leurs cadavres. Thomas savait que cette chanson qu’il aimait tant avait le sens profond de l’humanisme. Voilà un homme qui aimait l’animation de son peuple disparaît avec la fuite du temps. Il symbolisait l’unité de tout le peuple de Mituku, particulièrement de Bimbi. Un monument, un Rond-Point, une institution ou une Grand’ Place sera certainement construite un jour à Lowa en leur mémoire….Pendant que je rédige cet ouvrage en Europe, on me signale, avant de boucler ce chapitre, qu’il existe déjà une « Place des martyrs de Lowa »…..je suis content. Il ne reste plus que les Lowangais voient ce livre qui leur est destiné pour s’imprégner de l’histoire de leurs contrées. Ainsi donc, mission accomplie pour les Simbas, ils crient victoire. Ils prennent ensuite les trois cadavres, les accrochent derrière un véhicule à l’aide d’une corde solide. Le véhicule avance en tirant les corps par terre. Arrivés au beach, ils les jettent au fleuve Congo, puis tirent des rafales des mitraillettes dans l’eau. L’épisode de Thomas et de ses collègues se termina par cette odyssée dramatique. La nouvelle de ces assassinats se répandit à Kindu, à Punia, à Ubundu et à Mituku. Cependant, Tulunga Germain apprit cette nouvelle avec un sentiment ambivalent. D’abord, il est profondément triste et choqué. Parce que ses amis ne voulaient pas l’écouter malgré ses arguments convaincants. Ensuite, il est joyeux parce qu’il vient d’échapper à un assassinat collectif. Par conséquent, il avait encore quelques jours à vivre devant lui, il s’en réjouit sincèrement. S’il était sorti, il serait mort, c’est sûr. Il s’était félicité d’avoir resté fidèle à ses convictions. Depuis ce jour là, il doubla de vigilance pour bien se protéger contre tout mal. Que peut-on dire encore ? Sinon Tulunga Germain avait eu raison de ne pas sortir, car les rebelles avaient soif de verser le sang humain. Au delà de cette dimension, nous pouvons aussi dire que tout ceci n’est qu’une spéculation des hommes. On peut beau regretter, mais le destin de tout un chacun est tracé déjà par l’Incréé lui-même. Dieu seul sait que leur vie devrait se terminer de cette façon-là. Entre-temps, les rebelles continuaient à garder en otage le fils de Tulunga Germain, Michel Tulunga, 12 ans. Même à ce niveau, son père, sachant bien le sort qui a été réservé à ses amis, n’osa pas se hasarder à sortir. Les Simbas ont gardé en captivité son fils durant toute la période de la rébellion. Grâce à sa fermeté, Tulunga Germain s’était sauvé. Lorsque la rébellion fut complètement matée par les forces gouvernementales, cet administrateur de l’Etat sortit de la forêt avec la population civile. Michel était en quelque sorte adopté par un autre commandant, Thaddée, c’est lui qui a remplacé Nguba Théophile à Lowa et a fait laver le petit Michel de l’eau de Mulele qui, par la force des choses, était devenu aussi Simba à l’âge de 12 ans. Il se déplaçait souvent avec lui. C’est au cours de cette période de captivité que Michel sut le maniement des armes, et commença à tuer des gens, comme d’autres enfants rebelles de son âge drogués de chanvre indien. Les opérations militaires de grande envergure se déclencheront plus tard sur plusieurs fronts pour chasser les Simbas partout et même à Lowa. (Nous y reviendrons plus loin dans le chapitre traitant de la libération de Lowa par le mercenaire Jean Schramme). (A suivre)
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