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ESPACE MITUKU
18 avril 2007

Chapitre 3. Les activités champêtres vécues à Lowa

§ 3. 1. La culture du riz, facteur de l’économie familiale. La campagne du riz faisait partie des activités agricoles de la région. En dehors de l’huile des palmes, le caoutchouc et le café, le riz fut l’un des produits clés de l’économie de Lowa. Tout cela fut possible à cause de l’entretien régulier des infrastructures routières d’abord. Ensuite, parce que ce secteur était géré par un système hérité de la colonisation. Bien que l’agriculture des paysans soit maintenue au niveau artisanal, elle a pu générer l’argent nécessaire dans la mesure où les gens étaient payés en fonction de leur rendement et selon le mérite de chacun. Les agriculteurs avaient suffisamment de l’argent pour assurer le strict minimum vital: soins de santé, alimentation, logement, scolarisation des enfants, habillement etc. A Lowa comme à Mituku, toute la famille participait à la campagne du riz, d’autant plus qu’il y avait un gain qu’il ne fallait pas manquer. De plus, c’était une occasion qui permettait à la population d’acquérir les biens matériels, sinon, le confort social. Car les récoltes étaient vendues, et tout le monde pouvait facilement avoir de l’argent sans problème. Pendant la période de la campagne, tous les villageois étaient mobilisés pour cultiver le champ. C’était une sorte de compétition où chaque famille devait produire beaucoup pour gagner plus, en fonction de la règle du grand nombre. M.Wall qui avait le monopole de l’exploitation dans ce domaine, sillonnait avec ses ouvriers toutes les régions, depuis Lowa jusqu’à Mituku en passant par les villages de Balengola pour acheter le riz. Ce fut surtout la période des grandes récoltes durant laquelle on cultivait des vastes étendues de champs. L’agriculture était organisée par l’Etat. A cet effet, l’Etat distribuait des terres aux paysans pour soutenir une agriculture itinérante. Il fallait absolument les mettre en valeur, car les champs se faisaient de façon artisanale. Les moniteurs agronomes distribuaient les semences aux paysans, ceux-ci cultivaient alors des vastes étendues des espaces, par exemlpe les pépinières des palmeraies, de l’hévéa, du cafetier, du riz etc). Avant la semence, on préparait la terre avec le brûlis des feuilles sèches et des arbres abattus en vue de produire les engrais naturels. Tout cela se faisait pendant la saison sèche dominée par les soleils caniculaires. Puis, vinrent tout de suite après des pluies saisonnières qui arrosaient le sol pour le transformer en humus. Enfin, la semence coïncidait justement avec cette période des pluies pour faciliter l’éclosion des grains dans le sol. L’écosystème forestier pratiqué par les paysans fut maîtrisé avec panache grâce aux connaissances traditionnelles transmises de génération en génération, et ça marchait très bien. La période dite des semences en appelait à la grande solidarité des villageois. Une famille qui s’apprêtait à semer le riz au champ, invitait les voisins pour l’épauler dans ces dures épreuves. Il fallait réunir les nécessaires pendant la durée du travail, c’est-à-dire la nourriture pour les invités. On préparait à la veille des grosses marmites de « sombe, makayabu, ndizi, wali, ugali, samaki, nyama ...», c’est-à-dire épinards, poissons salés, bananes plantains, riz, farine de manioc, poissons, viande....le tout agrémenté par malofu ya moto, le fameux lotoko, le wyski locale en quelque sorte. Le travail de la semence se faisait le samedi ou le dimanche dans une ambiance de carnaval. Hommes et femmes formaient deux lignes; les hommes devant, les femmes derrière, tous avançaient latéralement par rapport à la hauteur du champ. Progressant debout, les hommes tenaient des bâtons en mains et creusaient des trous. Les femmes quant à elles, suivaient derrière avec des paniers contenant les semences; elles les déposaient dans les trous creusés par les hommes. D’un bout à l’autre des deux extrémités du champ, le travail était ponctué par des chants rituels, rythmés par les voix d’hommes et celles des femmes: « Elonge mana ima ê , êêê iyéé.....Elonge mana ima ê, êêê iyéé. Alikombé ! Olé ! », Elonge l’enfant de ma mère ê, êêê iyéé...dansons au rythme saccadé de chez nous.....Ces chansons agréables, motivaient le travail collectif à telle enseigne qu’il était impossible de se fatiguer. La répartition des tâches était équilibrée, dans la mesure où d’autres femmes, en nombre limité, s’occupaient de la cuisine dans un endroit ombrageux aménagé à la veille. Les bébés dans leurs berceaux et d’autres enfants se reposaient tranquillement sous une bonne garde; parce qu’il fallait éviter les piqûres désagréables des visiteurs indésirables, tels que les mouches tsé-tsé, et autres insectes impénitents. Leur irruption spontanée dans ce lieu, risquait de rendre l’ambiance champêtre morose.....D’où l’importance de cette garde des bébés. Si par hasard l’intervalle entre les hommes creusant des trous et les femmes semant des grains était très rapproché, celles-ci freinaient un moment leur progression, pour permettre aux sexes forts d’avancer. Entre-temps, elles claquaient leurs mains et dandinaient leurs hanches dans une cadence rythmée des chants…..en exhibant la danse bien sûr. Que c’était beau ! .... La belle époque que nos enfants auraient pu savourer. Ce merveilleux moment est enseveli avec la fuite du temps, en laissant derrière lui un soubassement historique brouillé de chaos.... Qu’importe ! A la fin du travail, c’était le festin. Les femmes partageaient la nourriture en fonction de regroupement familial, parfois par affinité particulière, car la belle famille avait une place de choix. Le repas se prenait séparément en fonction de sexe. Après le repas, la soirée se terminait par un petit verre d’amitié au rythme des chants de moyoko « Elonge mana ima ê , êêê iyéé......Elonge mana ima ê, êêê iyé ê, Alikombé ! Olé ! ». Un discours de remerciement devait sanctionner la fin de la journée, chacun s’en allait satisfait chez-soi. § 3. 2. L’exemple du champ de M.Thomas Baundja En 1963, j’eus l’occasion d’assister à la cérémonie de la semence d’un vaste champ du célèbre oncle Baundja Thomas situé à plus ou moins cinq km au-delà de ruisseau Yalu. Comme d’habitude, la fête des riches prend toujours les allures d’un banquet de gala. Ce jour-là, les invités de marque étaient présents. On mobilisa plusieurs cuisiniers pour la circonstance, femmes et hommes confondus. Un arsenal d’objets de luxe furent même acheminés à la brousse où une cuisine de fortune s’était improvisée sous les arbres, dans un endroit aéré. Deux frigos à pétrole, géants, y étaient aussi acheminés pour rafraîchir la bière raffinée: Stanor, Primus, Tembo, Vin, Simba etc. Un phonographe à manivelles et quelques disques de 33 tours du vieux temps de Loningisa, de Ombiza Charles et de Wendo, transformaient la brousse en un cabaret d’ambiance. Ce fut un grand moment de mobilisation où Lowa avait l’impression de réunir tous les villageois. Tout le monde y était le bien venu, pourvu que le travail apporte gain de cause. Ce jour-là, comme dans une bataille rangée, femmes et hommes, entonnant des chants rituels et motivés par le bon réflexe collectif, s’acharnèrent en semant le riz dans un vaste champ équivalent à la moitié d’une plaine d’aviation. Toute la petite brousse de Lowa vibra de fond en comble par des chants incantatoires, si bien que les oiseaux en furent impressionnés. Pour une fois, ces oiseaux, tout en étant à l’écoute du déchaînement humain, se sont tus. Après ce gigantesque travail collectif, vint le moment de manger. Les règles de jeu furent les mêmes: le repas, la boisson, un moment de détente, puis la danse... Les vieux chants, en vogue à l’époque, ont secoué des couples indigènes tiraillés entre la tradition et le modernisme, dans une ambiance d’aplomb. Les oiseaux, eux, vagabondaient dans le ciel en jetant un regard envié...J’avais vu comment l’oncle Baundja Thomas se déchaînait en plein moyoko (danse locale). En dansant, il a su respecter les codes culturels, comme voulait la tradition mituku. Malgré tout, Thomas fut un natif de la région enraciné dans sa culture ancestrale. Il est tout à fait normal qu’il soit à mesure de faire la démonstration de ses réflexes comme n’importe quel danseur mitugais. § 3. 3. Les oiseaux ravageurs On ne peut pas oublier cependant que, deux moments douloureux influençaient le comportement des agriculteurs. Après la période de la semence, commençait celle de la surveillance des jeunes plantes dans le champ. La période de joie se terminait lorsque les grains commençaient à pousser. La triste période fut celle de la dévastation du champ à grande échelle par la colonie d’oiseaux. Ils faisaient des ravages. C’était le douloureux moment vécu par nos parents comme le calvaire. Si l’on y faisait pas garde, on risquait de se priver de la bonne récolte. Pour éviter ce désastre, certaines familles dont la mienne propre, érigèrent des piquets autour et au milieu du champ. On reliait ensuite ces piquets par des cordes solides. Puis, on y attachait les morceaux de linges blancs, de masques peints en blanc reproduisant le portrait des individus et des boîtes à conserve contenant des petites pierres. C’était un travail laborieux qu’il fallait préparer d’avance quelques jours avant la poussée de jeunes plantes du riz. Lorsque les oiseaux voulaient se poser massivement pour manger ces jeunes plantes qui poussaient à peine, on tirait sur la corde. Ce mouvement avait un impact double auprès des oiseaux: d’abord, les boîtes à conserve produisaient le bruit désagréable. Ensuite, les linges blancs s’agitaient. Les oiseaux ne supportaient pas ces objets blancs qui défilaient devant leurs yeux, ils fuyaient très loin. Ce mouvement devait se répéter, parce qu’en fuyant, les oiseaux revenaient encore observer de temps en temps tout au long de la journée. A la moindre distraction de notre part, ils se posaient de l’autre côté, au bout du champ, où, ils pouvaient allègrement cause de dégâts. La vigilance était de mise. Dès six heures du matin, ces moineaux étaient déjà là, en train de manger...D’où la prudence conseille de se réveiller très tôt et se mettre en route pour ne pas leur permettre de dévaster le champ. Figurez-vous que, du matin à midi, ils étaient capables de visiter le champ plus de dix fois.....Ils donnaient donc du fil à retordre aux cultivateurs. La surveillance d’un champ du riz fut une tâche délicate pour nos parents à tel point qu’il nous fût nécessaire de les épauler. A la sortie de l’école, nous eûmes l’ultime devoir de rejoindre notre maman au champ. Quant à notre papa, dès qu’il eût terminé son travail en ville, il rejoignait aussitôt sa femme au champ. C’est là où l’on prenait notre repas. Dès notre arrivée, maman nous servait à manger. Après le repas, on prenait la relève, et elle pouvait se reposer un peu. On était très dynamique, on criait très fort pour chasser les oiseaux, on se déplaçait même jusqu’au milieux du champ pour les traquer dans leur poche de résistance. D’où l’importance d’avoir beaucoup d’enfants en famille pour participer à l’économie familiale d’une façon active. Ce rythme devait se poursuivre durant deux mois, jusqu’à ce que les jeunes plantes atteignent la taille d’un mètre. Période de repli tactique des oiseaux….. Mais lorsque la taille du riz atteignait l’âge de la maturité, c’est-à-dire que les plantes commençaient à donner des grains jaunes vifs, ces migrateurs-ravageurs revenaient en force pour manger les graines dans le champ. Cette période précédait la récolte. De ce fait, il faut doubler de vigilance par une surveillance accrue. Mieux vaut se réveiller tôt. Ce moment coïncidait justement avec une forte chaleur caniculaire. C’était aussi le moment où les petits insectes nuisibles et agressifs de type ilimba-limba, terrorisaient les agriculteurs. Ces bestioles bourdonnaient sans cesse autour des yeux. Et si par malheur l’un tombe dans l’œil, en sécrétant son urine anodine, on passait un mauvais quart d’heures à se frotter l’œil pour tenter de s’en débarrasser. Ce désagrement entraînait, certes, la perte de contrôle du champ. Car les oiseaux pourraient en profiter de ce temps mort pour le dévaster…... quelque part au coin. Toutes ces tracasseries contraignantes entraient en ligne de compte et étaient parfois lourdes des conséquences pour la santé. En tout état de cause, on était obligé de tenir à la main un petit arbuste pour disperser ces bestioles qui faisaient des acrobaties devant les yeux. Dans ce cas, la lutte s’engageait sur deux fronts : d’une part, on chassait les oiseaux, et d’autre part, on dispersait les « ilimba-limbas », ça n’était pas une tâche facile pour nous. C’est dans ce climat champêtre si douloureux que nos parents nous élevèrent pour assurer notre scolarisation. Outre le riz, il y avait aussi des champs de manioc, de maïs, des ignames et des patates douces qu’il fallait entretenir simultanément. Nos parents ayant été élevés dans le milieu de la tradition orale, étaient des analphabètes. En tant que tels, ils n’avaient aucune notion de l’agriculture telle que pratiquée par les agronomes occidentaux. Leur connaissance en ce domaine se fondait exclusivement sur le mythe des valeurs culturelles auxquelles ils se référaient. Il fallait donc se conformer à la croyance de ces valeurs et aux règles normatives du fonctionnement de la société traditionnelle. Véritables héritiers des valeurs ancestrales, ils se référaient à des périodes saisonnières pour labourer la terre. Notre région de Lowa baigne dans deux saisons climatiques : la saison sèche et la saison des pluies. Ils savaient parfaitement bien la période adaptée aux semences et celle adaptée aux récoltes. De cette façon, ils répartissaient leurs activités champêtres en fonction de ces deux périodes. C’est pourquoi il y avait dans leur projet agricole une nette répartition des semences qu’il fallait planter dans tel ou tel autre champ, pendant telle ou telle autre période. D’où la culture du riz ne se confondait pas avec celle de maïs, de manioc, de banane, de canne à sucre et d’autres légumes. En dépit des différentes activités agricoles opérées dans la région de Lowa et de Mituku, la culture des autres semences n’était pas aussi contraignante que celle du riz dans la mesure où elle ne nécessitait pas une surveillance permanente le long de la journée. De la semence du riz, à la frappe des gerbes récoltées, en passant par la récolte, je me rappelle très bien, que ce travail se faisait collectivement. Vu le volume du travail qu’entraînait le riz depuis la semence jusqu’à la récolte, il fallait, la tradition oblige, inviter les voisins pour procéder au décorticage manuel des gerbes avant de charger le paddy dans des sacs. A ce moment les Banyamituku appelaient ce riz libéré des gerbes le « Mompunga ». Chaque famille achetait des sacs en fonction de la quantité de mompunga produite. Pendant la période d’achat, M.Wall sillonnait la région avec ses camions pour acheter le riz destiné au raffinage à l’usine. Il faisait peser un sac sur la balance en vue d’évaluer le prix en fonction du poids. Plus on avait beaucoup de sacs, plus on gagnait beaucoup d’argent. C’était donc la période de la vache grasse pour de nombreuses familles aussi bien à Lowa qu’à Mituku. Les camions faisaient le ramassage des paddys d’une rue à l’autre. La population en était informée un mois d’avance. La campagne commençait à Lowa et se poursuivait à Mituku en passant par tous les villages de Balengola. Bref, l’économie de la vie familiale à Lowa fut d’abord une affaire de la solidarité entre les membres de familles et voisins du quartier. Ensuite, elle fut l’objet d’une organisation gravitant autour d’un travail collectif. Enfin, la participation des membres d’une famille, y compris les enfants, était un atout majeur pour l’équilibre de celle-ci.
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Commentaires
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  • Isamba eh ...Bonjour mes frères et soeurs Mitugais. Banya-metoko (Banyamituku), ceci est votre espace d'échange des idées. Les non-mitugais(e)s, dites nous ce que vous savez de banyamituku...
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